L'Aveugle

Il y a ces cris que l'on voudrait pousser, chaque fois plus ou moins les mêmes, et puis à quoi bon lorsqu'on réalise que si l'on se laisse à hurler une fois, il n'y aura plus de raison de se taire, et le cri de se faire murmure continu - silence, ou bien nouvel objet d'indifférence, d'agacement pourquoi pas. Il y a ces cris qui disent on ne sait trop quoi, rien sans doute, c'est juste pour être entendu - mais entendu par qui, pour quoi ? On ne saurait.

Alors il y a ces chansons, ces mots tout ornés de musique dont la force, incroyable déjà, s'accroît encore sous les notes éclatantes ; mots chantants lâchés dans le vide, avec l'espoir qu'ils l'emplissent tout entier, jusqu'aux confins d'un monde clos sur lui-même et jusqu'au coeur de vos mémoires unies en une seule compassion, infinie. Mais la musique s'éteind et personne n'a même levé la tête de son chemin, la page est restée blanche encore - vous vous moquez.

A quoi sert de crier, même en silence ; à quoi bon chercher encore la couleur à donner à ce cri pour qu'il ne s'essouffle pas dans la nuit - quel qu'il soit, quelle que soit sa grandeur ou son insignifiance, il ne rencontrera rien sur la sa route, aucune pierre, aucune oreille où s'accrocher. Le seul néant l'accueillera a bras ouvert au terme de sa chute vertigineuse. Vanité de la parole, des lettres noires qui s'entassent comme l'enfant cherchait à vider la mer avec son coquillage ! Tout le monde vit séparé du monde entier, et pourtant il fallut encore le dire dans une chanson - le dire, à qui ? Au vent, à personne - à qui passe, c'est à dire personne, car c'est de l'autre côté du monde qu'ils se pressent, et rien pour traverser. Alors c'est de trop loin pour qu'on puisse nous entendre que nous poussons ces cris étranges ; de trop loin, nous le savons ! Mais dites-moi, comment se taire ?